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Mon travail
Je travaille de la façon suivante : tout d’abord, une idée, proche de l’anecdote, puis l’analyse fouillée, approfondie de cette réflexion à l’aide de dictionnaires étymologiques et de références culturelles. Le temps d’exécution fait parti du travail global : c’est un temps de conscience/non-conscience  qui participe à la « vie propre » de l’objet, que j’exécute dans l’intimité.
La technique est souvent détournée de son chemin tranquille, en décalage, et laissant l’objet à cheval entre deux mondes.
Depuis quelques années, mon travail se tourne de plus en plus vers l’installation .

Le choix des matériaux et des techniques
Le tissu

Il est lié à l’intime, à l’identité, à l’humain. Apporter de la douceur, de la protection, de la chaleur sont les qualités des matières textiles.
Le tissu a des fonctions multiples, trame tour à tour cocons et pièges, fils de sécurité, emballages qui induisent une utilisation créative infinie de ses connotations et spécificités techniques.
En tant que médium, il est utilisé dans des créations pour ses qualités physiques et techniques, au-delà de toutes traditions féminines.

Il n'y a pas de distinction entre le matériau et la forme : celle‐ci découle de la nature même du matériau. Ainsi, en 2005, le styliste Issey Miyake reçoit le prix Praemium Imperiale de sculpture pour ses créations textiles. Le tissu n’est pas que vêtement, il est volume et traverse la frontière entre arts décoratifs et beaux-arts. Par sa dimension universelle, il est un vecteur poétique, symbolique, esthétique, politique et social.

« Celui qui veut être aimé souhaite un monde flexible. Les matériaux durs empêchent le rapprochement, refusent le contact. Leur dureté dresse un mur d’indifférence. Si je m’appuie contre un ballon, il cède, m’accueille et me répond, par le fait qu’il reprend sa forme d’origine. Un dialogue amical commence… » Claes Oldenburg.
Le « mou »   de la matière textile se rapporte à la féminité, à l’intérieur, à la réversibilité, l’amovibilité, la perméabilité, la souplesse, la sexualité, l’ambiguïté : c’est pour toutes ces notions que la matière molle et malléable m’inspire.

Les travaux de grand‐mère
Les techniques que j’utilise sont dites féminines mais ce n’est qu’une question de contexte : le point de croix était un passe temps de choix pour les marins hollandais au début du XVIIe siècle.
Les Grecs liaient les travaux d’aiguilles et l’art de la guerre en la divinité d’Athéna, mêlant féminité et virilité.
Mon utilisation des techniques dites féminines, de ces savoir‐faire, est un moyen de rendre hommage aux traditions populaires, rendant plus floue la limite entre Beaux-Arts et Art Populaire mais aussi, de montrer à quel point elles sont des outils de création actuelle.
Elles font partie de mon patrimoine familial, de ma dote, de mon trousseau. Je participe en les utilisant à la pérennisation du savoir que l’on m’a transmis.
Le langage plastique est depuis longtemps libéré et décomplexé tourné vers un champ de disciplines presque infini. Ces techniques sont celles de l’intime. Elles appartiennent à la vie de tous les jours. Elles sont des pratiques de l’ouvrage qui participent à une désacralisation de l’art. Utilisant des objets et des préoccupations du quotidien, je m’inscris dans une contemporanéité, un premier pas vers l’autre, à une réactivation de sa mémoire, sa propre histoire. Mon travail laisse place au « regardeur » en l’impliquant par son imagination et son interprétation libre de l’œuvre.

Je reconnais que le choix des matériaux, du sujet et ma conception de l’art sont fortement influencés par le fait que je sois une femme. Mon travail est entre autre, le fruit de la transmission de mère en fille de techniques et savoir-faire. Je me sens proche de l’artiste Kiki Smith lorsqu’elle déclare : « (…) je ne cherche pas à émettre des généralités sur les femmes ou qui que se soit d’autre ; j’exprime un point de vue personnel». Ainsi, je réalise des ouvrages auxquels je donne une position d’œuvres d’art. Mon travail tend à effacer les limites entre « l’ouvrage » et « l’œuvre », le populaire et l’élitisme.

La sculpture et l’installation
Le volume

Je pense en volume. Je commence toujours mon travail par des croquis très succincts mais c’est le « croquis » en volume sous forme de maquette qui est la base même de mes productions.
C’est une évidence, mais le volume peut être parcouru, entouré, c’est  une épreuve corporelle qui sollicite l’investissement de tout l’organisme : l’esprit, les émotions, les sens et le corps physique. L’expérience tridimensionnelle met en jeu les qualités cognitives et haptiques.

J’envisage mon travail comme une recherche passant par l’expérimentation.
Je modèle, j’assemble, je mélange, je bricole,  je construis.
La sculpture est « la taille directe ou le contact intime avec le matériau choisi, poli, caressé, griffé  », malmené, transpercé, trituré, transformé. On y rentre, on s’y introduit, on la touche, on la force, on l’écoute, on la suit : on est dedans, dans la matière. On est imprégné, éclaboussé, sali de cette matière : on fait corps. C’est un travail d’équipe, un combat ou tour à tour la matière est amie et ennemie : aller plus loin, toujours, être surprise, se laisser aller, être ferme, douter.

Je sculpte car :
- par son mimétisme, qu’il soit formel ou de la qualité du ready-made, la sculpture s’inscrit dans le quotidien, dans une forme de réalité.
- la sculpture existe par plusieurs formes de dépendances : à l’espace, à la lumière, au champ visuel du spectateur. Ces contraintes sont des forces qui à chaque accrochage inventent une nouvelle pièce.
- la sculpture met en branle le corps en entier « La sculpture se détermine par le rapport direct au matériau plus que par l’idée présidant à sa réalisation »  . Le matériau me surprend toujours, m’étonne. Un écart face à mon image mentale n'est pas une perte mais un enrichissement laissant un plus riche champ d’interprétations. Je maîtrise et me laisse maîtriser par la matière. Elle me guide et me malmène : c’est de cette confrontation que naît le volume. Je me sens proche de cette phrase de César Baldaccini : « je suis devenu moi-même le jour où j'ai osé faire certaines choses que je croyais interdites. Pour créer, il faut avoir une grande fraîcheur, une grande naïveté. Ce qu'on appelle le feu sacré. Dans l'atelier, vous vous oubliez, et le matériau vous transforme. Soudain, une chose vous entraîne à une autre et ainsi de suite. »
J’essaie de laisser souffler un esprit de liberté sur mes productions en jouant avec l’incontrôlable, la force du hasard.

La sculpture est un processus de création par addition ou soustraction. Par l’installation, le processus de déduction lié à l’espace apparaît et modèle le volume par un décalage face aux codes du quotidien. L’installation crée par association.

L’installation
Du volume, de la sculpture, je suis allée vers l’installation car elle apporte une ambiance, non pas au sens péjoratif, mais au sens scénographique. On rentre dans l’installation (sorte de nature morte en volume), on ne tourne pas autour, c’est un mouvement qui tend à embrasser l’espace  dans une mise en scène propice à toutes formes de créations générées par le deuxième acteur (le premier étant l’artiste)  qu’est le public.
« L’installation est un rapprochement continu, voire même la fusion de l’art de la vie.
C’est un type de création artistique qui rejette la concentration sur un objet exclusif pour mieux considérer les relations entre plusieurs éléments ou l’interaction entre les choses et leur contexte.  »
Roselee Golberg parle dans un article en 1975 «  d’espace comme praxis »  : c’est un espace en dialogue actif avec les choses et les gens qu’il contient.
Le sens d’une installation réside dans la rencontre entre l’objet et son regardeur. Le visiteur armé de sa culture au sens large fait œuvre, il  fait l’expérience de l’art.
Mes productions, indépendantes et autonomes, existent dans le regard de l’autre.

L’installation est un type de création artistique inépuisable, éphémère, envahissant. Paradoxalement son côté artificiel est cette qualité qui la rapproche le plus de la vie, pourtant elle est tout autre.
Urs Fisher résume très bien cela lorsqu’il dit : « l’art et la vie convergent dans un dispositif (qui pour moi est l’installation) qui ne cesse de s’agrandir, dans lequel je peux mettre toutes mes préoccupations, où je peux utiliser tout ce que je vois ». Il répond à la question qu’est-ce qu’une sculpture : « c’est un plaisir personnel et une façon de penser. »
« L’important, …, ce n’est pas tant ce que je mets ou crois mettre dans mes œuvres (…) c’est ce que le public, l’Autre, y trouve et s’y retrouve, directement ou indirectement que le public s’y réinvente » .

D. La question de la création comme base de recherches
Le fil conducteur de mon travail est la question de la création. Que veut dire « créer avec ses tripes » ? Quels sont les liens entre l’enfantement et la création artistique ? Qu’est-ce que créer ?
Les êtres de mes sculptures s’abritent dans leur ventre. Il est là question de matrice permettant de s’enfanter soi-même, de se protéger, de se réfugier, de s’enfermer... un retour au ventre nourricier et protecteur : un cocon doux et chaud mais également clos et sombre.
Une référence importante pour moi est une œuvre de Peter Greenaway le ventre de l’architecte . « Les thèmes de la reproduction et de la filiation … irriguent, … la structure narrative du film … Peter Greenaway « rend compte de toute entreprise artistique (de la plus élémentaire à la plus magistrale) souffrant invariablement de la moindre influence, subjectivité et/ou remise en question.
Lignes, circonférences, figures, symboles, séquences, narration, et jusqu’aux métaphores responsives sur le principe de permanence et de renouvellement, tout dans cette œuvre gigogne, esthétiquement superbe, conduit à une réflexion labyrinthique et référentielle sur l’artiste face à ses angoisses, ses doutes et ses inspirations » .
Les questions du ventre, de la création biologique ou intellectuelle, des sources de cette création, du terreau, de mon détachement face à mon histoire et à mon savoir (au sens culturel du terme), de mon affirmation personnelle et artistique sont mes thèmes de recherche.
Je me permets de reprendre une réflexion de Tobias Rehberger qui explique : « nous ne sommes pas ce que nous pensons mais plutôt le résultat d’une compilation de textes (…) d’histoires passées, présentes et futures, sans cesse en décalage, en addition, en soustraction, en accroissement. »



My work

I work in the following way: first, an idea, almost an anecdote, then a profound analyse of my reflection through the use of artistic references and etymological dictionaries. The time spent on manufacturing is part of the overall work: it is a time of consciousness / non-consciousness present in the very life of the object, which I produce within an intimate framework.
The technique is often diverted from its usual secure way, “offset”, leaving the object on balance between two worlds.

Fabric
It is linked to the intimate, to human. Amongst it qualities, textiles bring softness, protection, warmth. They hide or reveal.
Fabric has multiple functions; it frames either traps, cocoons and safety threads or wrapping which induce an infinite creative use of its connotations and technical specifications.
There is no distinction between material and form. Form arises from the nature of the material. Slackness, limpness provided by textile is linked to femininity, indoor, reversibility, removability, permeability, flexibility, sexuality and ambiguity. It is because of all these notions that soft material inspires me.
"Whoever wants to be loved wants a flexible world. Hard materials prevent from closeness, refuse contact. Hardness raises a wall of indifference. If I lean against a balloon, it welcomes me and answers me, by returning to its original shape. A Friendly dialogue begins ... "Claes Oldenburg.

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